Enfin la journée de repos. La première étape était bidon, mais ça, je ne l’ai su que le lendemain. Je vous écris donc depuis Arequipa, allongé sur une paillasse et sur le ventre. Après des milliers de kilomètres de sable, de désert, de dunes, j’en ai plein le cul, et d’ailleurs plein d’ampoules dessus. Qu’est ce qui m’a pris, bordel...
Mardi, tout commençait pourtant bien. Pisco-San Juan de Marcona, juste le nom de l’étape sentait la fiesta et la pinacolada. Les motos toutes propres à la queue leuleu pour le départ, les hélicos, les sponsors, ça en jetait même carrément un max. Mais bon, tu sais ce que c’est, à chaque départ, p’tit coup de pression, et l’envie de pisser qui monte. Ni une ni deux, je file vers les latrines serrer la main au colosse, et là, sur qui je tombe en train d’attendre devant les gogues ? Un mec en chaise roulante. Et habillé en motard en plus. Je vais le voir, j’lui dis merde, t’es tombé, t’es arrivé tard et il t’ont collé là-dedans parce que t’arrives plus à marcher ? Le mec, un italien, me répond que non, qu’il est handicapé depuis des années, et qu’il fait le Dakar en moto aidé de trois potes. Balèze le type, du coup on discute, Nicola Dutto qu’il s’appelle, chapeau l'artiste lui dis-je, quand Peterhansel sort tout à coup des chiottes avec un grand sourire, nous expliquant qu’il a mis du gaz et qu’il vient de gagner au moins 5 km/h. Mais quel branleur... J’aide mon nouveau pote Nicola à rentrer dans le chiottes, le fauteuil passe pas, et attends patiemment mon tour. J’en profite pour regarder son classement, et ah l’bâtard, il m’a rentré dans la première spéciale ! Déjà qu’ils se réservent les places juste à côté des portes des supermarchés, il faut maintenant que les handicapés viennent nous faire chier en course, merde !
La colère m’a pris, j’ai sorti l’opinel et je lui ai crevé les deux pneus, paraît que dans le sable faut rouler sous-gonflé... Non mais. Je me suis taillé avant qu’il ne sorte, et j’ai ramené mon envie de pisser avec moi, du coup. Pas grave, j'ai pissé au CP sur la meule à Gravier De Soustrait, juste pour faire ressortir mon coté révolutionnaire... Le reste, tu le connais. Il fait froid le matin, chaud quand le soleil se lève, et celui qui a tracé le parcours cette année a du être privé de bac à sable dans sa jeunesse. L’enfoiré.
La tête de Gilles Plancton-Fourbi, quand je suis arrivé dans l’étape 3, j’avais déjà envie de tout plaquer. Si tu veux, la journée, tu passes de liaisons interminables en spéciales insurmontables. Si tu t’arrêtes pour bouffer sur la route, t’as le choix entre une galette de maïs ou du cochon d’inde. Bref, cette étape-là jusqu’à Arequipa, je voulais la finir au plus vite. J’ai soudé, et j’ai tellement soudé que je me suis paumé. Moins de sable qu’hier, mais des pistes que tu te demandes à quoi elles servent. Bref, me voilà dans un village. Enfin, un village... Le chien de la famille Simpson en train de sécher doucement au soleil, une église, deux maisons, pas de volets aux fenêtres, pas de réseau. Personne. Je claque trois rupteurs avec le mono quand un gars sort de sous le banc devant l’église. Il s’approche et me baragouine je sais pas quoi. Ma parole, avec ses yeux à moitié bridés et ses « tos », « despues », « liberrrrrnas » dans la voix, j’ai l’impression que le village a été entièrement repeuplé par les enfants illégitimes d’Angunn et Julio Iglesias… Je lui montre la carte, le ciel, la terre, et il finit par piger. Il gueule « Dalaille, Dalaille ! », me fait signe qu’il part et qu’il revient, et du coup il part, et puis revient. Avec Dalaille, son putain de lama. J'ai envie de le saigner. Fier de lui, équipé du bonnet rose à oreille de rigueur, le gonze est heureux comme tout d’aller me montrer le chemin sur son putain de lama… Je l’ai fait descendre direct, je l’ai collé derrière ma brêle et en avant pour la piste. Au bout de 20 bornes, mon nouveau copain m’a fait arrêter. Il a pris la carte, m’a montré où nous étions, et bon, j’ai pu continuer. J’étais un peu pressé, alors je lui ai laissé un porte clé avec une tour Eiffel en plastique doré, et j’ai filé. C'est un gars du coin, chuis même pas inquiet.
La suite est simple : du bleu, du jaune. De l’air sec, et de la poussière. Je respire la bouche fermé tellement j’ai peur de chier des sablés.
Etape 4, puis 5, la fameuse marathon. Un truc de merde en fait. Tu sors de la 4 vanné, et là, je sais pas pourquoi, mécaniciens interdits le soir. Il a fallu que je me tape tout moi-même. Déjà que je ne débarrasse même pas mon assiette à la maison, alors là, je te raconte pas la défaite… Du coup, j’ai eu une pensée pour mon pote John-John Umbroglio, un copain rallyman qui s’était fait le Dakar il y a quelques années, mais en pilote mâle (parce qu’il fallait une sacrée paire de couilles). Il s’est tapé son Dakar tout seul, sans assistance, un taré. Ça m’a permis de relativiser. Mais bon, après avoir ingurgité la RMT de la Katoche, nettoyé tout le merdier pendant que mon team 2Be3 MonRoyco buvait l’apéro, j’ai pas pu vraiment me reposer. Et dans l’étape 5, de fatigue, hélas, je suis tombé.
Je ne sais pas combien de temps je suis resté dans les vapes. Ce que je sais, c’est qu’en me réveillant, je n’étais plus sur la moto. J’ai ouvert les yeux vers le ciel, et c’est là qu’il m’est apparu. Comme dans le Roi Lion, une tête est sortie des nuages. Une tête burinée par le soleil, à la barbe brune.
Lui : « Salut Julian, moi c’est Monsieur Sabine. »
Moi : « Hein ? »
Lui : « Ben, c’est Monsieur Sabine, quoi ! »
Moi : « Monsieur Sabine ? Monsieur Sabine… Sabine, avec une barbe… Ah, mais si bordel, j’y suis : c’est pas toi qu’a gagné l’Eurovison en 2014 ? »
Aussi sec, la grosse tête bienveillante s’est évaporée dans le ciel. J’ai retrouvé ma moto, rassemblé ce qu’il me restait de force et de courage, et je suis reparti. J’ai envie d’une glace, et de me vautrer dans un canapé. Mon royaume pour un Miko dans un Pochtron & Sofa...
Tu l’auras compris, cette journée de repos tombe à pic. J’aurai bien fait un peu de tourisme pour ramener, je sais pas moi, du porto ou un T-shirt du Barça, mais j’avais plus envie. Juste dormir. Dormir et me jurer que plus jamais je prendrais l’apéro. C’est toujours la source de plans galères…
Sinon, un autre pilote, Julien Toniutti, est contre toutes ses espérances toujours en course. Il m'avait promis qu'il reviendrait mardi dernier, mais l'Amérique du Sud semble finalement lui profiter... Incroyable... Et courage à lui.