Mercredi est arrivé. Presque trop tard. Je n’ai pu ni écrire, ni donner de nouvelles pendant des jours, car il n y avait rien à dire. Simplement rien. L’attente, sous la pluie, et les espoirs qui fondent au fur et à mesure. Les essais ont été annulés les uns après les autres. Mauvaise nouvelle pour moi qui avait misé sur un maximum de roulage ici, à défaut d’avoir pu le faire avant. Par contrainte plus que par conviction, j’avais fait 4 journées de roulages quasi exclusivement sur la 1000 pour me préparer au TT, découvrir la machine, et une quarantaine de minutes sur la 600. Le temps étant généralement bon sur l’ile de Man au mois de mai, je devais être normalement au point à la fin de la semaine d’essais, mais la météo et le vent en ont décidé autrement. Avec un peu de recul, ce n’était pas une erreur de stratégie. Juste un manque de moyen. Mais pas grave, on a appris à se débrouiller avec ce qu’on avait. Et puis ce n’est pas si mal à la fin des essais, un chrono de 19’14 en 1000, et 19’39 en 600, dans la zone de ce que je sais faire, et avec un vent de fou rendant la 1000 encore plus dure, et la 600 encore moins rapide.
Et puis la première course est arrivée. Enfin, la première non course. Superbike, 4 tours. Depuis le début des essais, rouler sur la BM est une sacrée épreuve. La bête bouge, remue, jette. Fait peur. On m’avait prévenu qu’une 1000 était un sacré morceau ici, mais honnêtement, plus débile, y a pas. Enfin ça, c’est ce que je me disais juste avant de discuter avec Jean-Michel : « Morgan, tu es le seul à faire hurler les spectateurs de peur à Union Mills ». Ah. Pas bon ça. Y a un truc qui ne va pas. On réfléchit, et on décide d’une direction de réglages pour la course. De toute façon, le peu d’essais ne nous a pas permis de tester grand-chose. La course superbike part, et je comprends très vite que je suis dans la merde. La moto est pire, guidonne sans arrêt, me jette partout. Impossible de rester gaz en grand dans la rapide section de Bishop’s court, impossible sortir de Sarah’s Cottage sans que la moto ne cherche à m’éjecter à chaque changement d’angle… L’avantage, c’est que la direction à prendre n’est pas celle là, ça donne une indication ! En attendant, à bord, c’est l’enfer. Après un énième sauvetage sur la bosse avant Miltown, je songe à arrêter. Mais de la même façon, je n’ai pas été appris comme ça. Démerde-toi, gros, tu attends d’être là depuis des mois. Démerde-toi... Premier tour catastrophique, le 2ème ne s’annonce pas beaucoup mieux. A la colère des jours sans, je continue de pousser, de plus en plus méfiant.
Et puis dans la montagne, tout s’arrête. Drapeau rouge. On gare les motos à Windy Corner, qui porte bien son nom. Un trou dans la montagne où s’engouffre le vent. Je choppe le portable d’un spectateur, laisse un message à ma femme pour la rassurer, avant de me faire inviter par les marshalls à l’intérieur de la guérite qui leur tient lieu de refuge. A l’intérieur, l’ambiance est mesurée. La chaleur et la bienveillance de nos hôtes faite de retenue. Ils savent. On sait. Quelque part sur le circuit, quelqu’un souffre, au pire du mieux. Le cul sur un banc, entouré d’Adrian Harisson et de Mark Goodings, on attend les nouvelles. Snugborough, début du troisième tour. Snugborough, c’est une cassure à gauche, « 5th screaming » (la 5ème hurlante). Adrian lâche un « Shit, fast place ». Ils sont au thé, moi au café. Un de ces cafés pourris, un Nes mal dosé remplit de trop d’eau trop chaude. Un café qui ne te marquera pas par ses arômes, mais par le plaisir de ce moment de chaleur, isolé du vent froid de la montagne.
Retour en convoi jusqu’à Grandstand. Le ciel est gris, l’ambiance de la même teinte. Je croise au paddock un Dominic Hebertson au regard hagard. Il a dû arriver juste après. Juste après que Daley Mathison ne se soit envolé avec les fées, comme sa femme a souhaité nous l’annoncer quelques heures après l’accident.
Mais le TT ne s’arrête jamais, même dans ces cas-là. Le soir même, après la course side-car, vient le tour des Supersports. Quatre tours, enfin une course dans son intégralité, le premier TT du chat Pautet, le premier gros morceau pour nos mécanos puisqu’il va falloir assurer deux ravitaillements. Mais encore une fois, la météo en a décidé autrement. Au deuxième tour, la pluie est arrivée du côté de Ballaugh Bridge. Quelques kilomètres à plus de 200 sur une route devenue glissante et piégeuse, puis retour au sec du côté de Ramsey. Je soude, face au vent, n’arrive pas à passer la 6ème tant ça souffle dans la montagne. De toute façon, je n’avais plus réussi à la passer ici après la 1ère séance d’essai… Cette année, si tu n’as pas un moteur de malade dans la 600, impossible de faire quelque chose, mais bon, je ne suis pas venu pour enfiler des perles, donc je cache tout ce qui dépasse derrière le carénage, et soude. Et le témoin de réserve s’allume… 10 kilomètres plus tôt que prévu… Là, c’est la merde. Avec le vent dans la tronche, à faire pédaler le moteur pour éviter de reculer, j’ai surconsommé, et je dois rendre la main pour rejoindre l’arrivée. La montagne au ralenti, enrouler pour ne pas consommer. Allez, encore quelques kilomètres et je pourrai ravitailler… Mais la direction de course en a décidé autrement. Alors que je saute sur les freins pour entrer au stand, on me fait signe que non, qu’il faut passer sous le drapeau à damier, que la course est terminée. La pluie ne permet plus de rouler… Fin de cette première journée de course. Une vraie journée de merde.
On s’est regardé un moment avec le Chat Pautet, nos combinaisons sur le dos, sans avoir le courage de les enlever. Les questions sont venues les unes à la suite des autres, mais la réponse est restée la même : c’est vraiment un TT de merde. Depuis le temps qu’on attend, avec tout ce qu’on a mis dedans, d’énergie, de temps, de fric. Et s’il n y avait que nous ! Ludo, boss et unique employé de La Parenthèse Moto… Sur les quatre machines qui illuminent notre stand, trois ont des moteurs qui sortent des chez lui ! Des heures, des nuits passées à mesurer des coussinets de bielle, faire des jeux aux soupapes, serrer des culasses… A choisir de bosser pour que nous puissions rouler plutôt que de se caler au fond de son lit, au chaud. Stéphane, qui a été de toutes les éditions, l’agrandisseur de réservoir, l’ajusteur de conduit, le metteur au point, qui claque chaque année plus de deux semaines de congés par passion, par amour de la compétition, par amitié. Mon frère, un jumeau moins gros qui devient moi quand je ne peux pas, Thibaut, l’ami de toujours, le rationnel, celui qui voit la vie sans détours, et un des seuls qui sache me ramener sur terre quand je m’égare. Fouidon, le fils caché de Crocodile Dundee et Zac Efron, mécano, voyageur, et Gremlins… Oui, parce que ce soir là, alors que le TT basculait dans le maussade, le rêve qui se termine avant même d’avoir commencé, l’esprit sous la tente a commencé à s’échauffer. Ludo à mouillé Fouidon… et, c’est bien connu, il ne faut jamais mouiller un Gremlins ! Les bouteilles de coca, de limonade se sont transformées en geyser islandais, le paddock en un terrain de chat perché, et on a ri, on a ri. C’était environ moins le quart, l’heure parfaite pour ça. L’heure parfaite qui n’existe pas mais qui sonnait le retour à notre réalité : oui, nous étions là pour le plaisir, rouler vite bien sûr, mais aussi nous marrer. Les pendules étant remises à l’heure, il n y avait plus qu’à remettre le reste en ordre de marche.