Le Dakar de Julian Tchouchouni

Le faux Dakar d'un copain presque imaginaire...

Parce qu'il est trop loin pour qu'on puisse rigoler ensemble, parce qu'il va faire un truc de fou, parce que ça le détendra (ou pas) les soirs d'étapes, parce que pas grand monde ne lira ça, suivez le Dakar du pilote Julian Tchouchouni et découvrez ici tout ce qu'il n'aura pas dit.

D'avance pardon

Propos recueillis par notre envoyé spécial depuis son canapé : Momo Zovitch

Crédit photo : Gilbert Montagnier.

Etapes 2 à 5 : La vie est dure quand le sable est mou...

Enfin la journée de repos. La première étape était bidon, mais ça, je ne l’ai su que le lendemain. Je vous écris donc depuis Arequipa, allongé sur une paillasse et sur le ventre. Après des milliers de kilomètres de sable, de désert, de dunes, j’en ai plein le cul, et d’ailleurs plein d’ampoules dessus. Qu’est ce qui m’a pris, bordel...

Mardi, tout commençait pourtant bien. Pisco-San Juan de Marcona, juste le nom de l’étape sentait la fiesta et la pinacolada. Les motos toutes propres à la queue leuleu pour le départ, les hélicos, les sponsors, ça en jetait même carrément un max. Mais bon, tu sais ce que c’est, à chaque départ, p’tit coup de pression, et l’envie de pisser qui monte. Ni une ni deux, je file vers les latrines serrer la main au colosse, et là, sur qui je tombe en train d’attendre devant les gogues ? Un mec en chaise roulante. Et habillé en motard en plus. Je vais le voir, j’lui dis merde, t’es tombé, t’es arrivé tard et il t’ont collé là-dedans parce que t’arrives plus à marcher ? Le mec, un italien, me répond que non, qu’il est handicapé depuis des années, et qu’il fait le Dakar en moto aidé de trois potes. Balèze le type, du coup on discute, Nicola Dutto qu’il s’appelle, chapeau l'artiste lui dis-je, quand Peterhansel sort tout à coup des chiottes avec un grand sourire, nous expliquant qu’il a mis du gaz et qu’il vient de gagner au moins 5 km/h. Mais quel branleur... J’aide mon nouveau pote Nicola à rentrer dans le chiottes, le fauteuil passe pas, et attends patiemment mon tour. J’en profite pour regarder son classement, et ah l’bâtard, il m’a rentré dans la première spéciale ! Déjà qu’ils se réservent les places juste à côté des portes des supermarchés, il faut maintenant que les handicapés viennent nous faire chier en course, merde !

La colère m’a pris, j’ai sorti l’opinel et je lui ai crevé les deux pneus, paraît que dans le sable faut rouler sous-gonflé... Non mais. Je me suis taillé avant qu’il ne sorte, et j’ai ramené mon envie de pisser avec moi, du coup. Pas grave, j'ai pissé au CP sur la meule à Gravier De Soustrait, juste pour faire ressortir mon coté révolutionnaire... Le reste, tu le connais. Il fait froid le matin, chaud quand le soleil se lève, et celui qui a tracé le parcours cette année a du être privé de bac à sable dans sa jeunesse. L’enfoiré.

La tête de Gilles Plancton-Fourbi, quand je suis arrivé dans l’étape 3, j’avais déjà envie de tout plaquer. Si tu veux, la journée, tu passes de liaisons interminables en spéciales insurmontables. Si tu t’arrêtes pour bouffer sur la route, t’as le choix entre une galette de maïs ou du cochon d’inde. Bref, cette étape-là jusqu’à Arequipa, je voulais la finir au plus vite. J’ai soudé, et j’ai tellement soudé que je me suis paumé. Moins de sable qu’hier, mais des pistes que tu te demandes à quoi elles servent. Bref, me voilà dans un village. Enfin, un village... Le chien de la famille Simpson en train de sécher doucement au soleil, une église, deux maisons, pas de volets aux fenêtres, pas de réseau. Personne. Je claque trois rupteurs avec le mono quand un gars sort de sous le banc devant l’église. Il s’approche et me baragouine je sais pas quoi. Ma parole, avec ses yeux à moitié bridés et ses « tos », « despues », « liberrrrrnas » dans la voix, j’ai l’impression que le village a été entièrement repeuplé par les enfants illégitimes d’Angunn et Julio Iglesias… Je lui montre la carte, le ciel, la terre, et il finit par piger. Il gueule « Dalaille, Dalaille ! », me fait signe qu’il part et qu’il revient, et du coup il part, et puis revient. Avec Dalaille, son putain de lama. J'ai envie de le saigner. Fier de lui, équipé du bonnet rose à oreille de rigueur, le gonze est heureux comme tout d’aller me montrer le chemin sur son putain de lama… Je l’ai fait descendre direct, je l’ai collé derrière ma brêle et en avant pour la piste. Au bout de 20 bornes, mon nouveau copain m’a fait arrêter. Il a pris la carte, m’a montré où nous étions, et bon, j’ai pu continuer. J’étais un peu pressé, alors je lui ai laissé un porte clé avec une tour Eiffel en plastique doré, et j’ai filé. C'est un gars du coin, chuis même pas inquiet.

La suite est simple : du bleu, du jaune. De l’air sec, et de la poussière. Je respire la bouche fermé tellement j’ai peur de chier des sablés.

Etape 4, puis 5, la fameuse marathon. Un truc de merde en fait. Tu sors de la 4 vanné, et là, je sais pas pourquoi, mécaniciens interdits le soir. Il a fallu que je me tape tout moi-même. Déjà que je ne débarrasse même pas mon assiette à la maison, alors là, je te raconte pas la défaite… Du coup, j’ai eu une pensée pour mon pote John-John Umbroglio, un copain rallyman qui s’était fait le Dakar il y a quelques années, mais en pilote mâle (parce qu’il fallait une sacrée paire de couilles). Il s’est tapé son Dakar tout seul, sans assistance, un taré. Ça m’a permis de relativiser. Mais bon, après avoir ingurgité la RMT de la Katoche, nettoyé tout le merdier pendant que mon team 2Be3 MonRoyco buvait l’apéro, j’ai pas pu vraiment me reposer. Et dans l’étape 5, de fatigue, hélas, je suis tombé.

Je ne sais pas combien de temps je suis resté dans les vapes. Ce que je sais, c’est qu’en me réveillant, je n’étais plus sur la moto. J’ai ouvert les yeux vers le ciel, et c’est là qu’il m’est apparu. Comme dans le Roi Lion, une tête est sortie des nuages. Une tête burinée par le soleil, à la barbe brune.

Lui : « Salut Julian, moi c’est Monsieur Sabine. »

Moi : «  Hein ? »

Lui : « Ben, c’est Monsieur Sabine, quoi ! »

Moi : «  Monsieur Sabine ? Monsieur Sabine… Sabine, avec une barbe… Ah, mais si bordel, j’y suis : c’est pas toi qu’a gagné l’Eurovison en 2014 ? »

Aussi sec, la grosse tête bienveillante s’est évaporée dans le ciel. J’ai retrouvé ma moto, rassemblé ce qu’il me restait de force et de courage, et je suis reparti. J’ai envie d’une glace, et de me vautrer dans un canapé. Mon royaume pour un Miko dans un Pochtron & Sofa...

Tu l’auras compris, cette journée de repos tombe à pic. J’aurai bien fait un peu de tourisme pour ramener, je sais pas moi, du porto ou un T-shirt du Barça, mais j’avais plus envie. Juste dormir. Dormir et me jurer que plus jamais je prendrais l’apéro. C’est toujours la source de plans galères…

Sinon, un autre pilote, Julien Toniutti, est contre toutes ses espérances toujours en course. Il m'avait promis qu'il reviendrait mardi dernier, mais l'Amérique du Sud semble finalement lui profiter... Incroyable... Et courage à lui.

Etape 1 : Lima - Pisco

Voilà, j y suis.Moi, Julian Tchoutchouni, Serge eunuque par mon père, aveyronnais par mon blase. Un an après un apéro qui changera ma vie, me voici au Pérou, point de départ, d'arrivée et de tout en fait de ce Dakar. Le Pérou, ses couleurs, sa lumière si particulière, ses... En fait j'en sais rien, j'ai demandé des glaçons dans mon Coca à Pablito en arrivant, et ça fait trois jours que j'ai la chiasse. Je savais qu'en disant oui à l'aventure je m'étais mis dans la merde, mais pas à ce point...

Bref, bon, 5 boîtes d'imodium plus tard, me voilà au départ du plus grand rallye-raid du monde. Un truc de dingue. Mais je suis confiant. Pour une raison que j'ignore, McGuinness, Guy Martin et Bruno Schiltz ne sont pas au départ. Ca fait un paquet de concurrent en moins pour bibi, ça ! Mon casque, ma tenue textile (le boss m'a dit "Chaud pour le cuir", mais j'ai pas compris si c'était une question ou une affirmation...) et direction le podium de départ. Tout en cagette taillé dans la masse, les 96 motards me précédant se sont élancés direction Dakar. Non ? Bon, y a un autre truc que j'ai pas compris, mais je suis quand même la troupe. Je roule je roule, pas beaucoup de goudron là-dedans, mais patience, je sens mon heure venir à mesure que je transpire. Et là, à l'orée d'un chemin, v'là t y pas que je tombe sur deux gilets jaune installés peinards sous une tente avec un barbecue. J'aborde les types, j'dis "ça va les gars on revendique au soleil ? J'suis avec vous les mecs, vive le Pérou libre !". Le plus gros des deux, celui qui a la tête directement vissée sur les épaules me prend mon carton de pointage et gueule "Chpecial dans chinq, quatre, trouax, doux, oune, jéro, vajy Toto !!". Mais c'est quoi ce bordel ? D'où que c'est une spéciale ton tas de sable, Bouboule ? Les mecs, y a pas un lampadaire, pas un trottoir, comment je fais pour prendre une traje si j'ai pas de repères, moi ? La loooooooooose !!!!!!!

Je finis par y aller quand même, le plus petits des deux sbires ayant fini sa cotelette et commençant à reluquer d'un peu trop prêt mes pneus. Et là, un truc de fou. La tête de tata Graziella, la dernière fois que j'ai joué dans le sable, j'avais 8 ans. Et là, v'là le tas de sable. J'ai fait vroum, vroam, brêêêêêt, trop drôle. Pis quand tu tombes, c'est tout mou, même pas mal ! Mais ça, c'était juste avant que je ne me rende compte que j'avais oublié la navigation. Et là, reloose. Pas un panneau, pas une borne kilométrique, un calvaire ou un rond point. La merde totale, la solitude à l'état pur. Pas le choix, je fais demi-tour pour remonter mes traces et revenir là d'où je n'aurais jamais dû partir. Pas une âme qui vive, pas un lézard, même pas de balançoire ni de toboggan... Et coup de bol. Ma couille, en plein désert, je tombe nez à nez sur un reubeu dans un gros pick-up qui devait ramener de la pièce au bled (des pneus sur le toit, dans le coffre, le mec même pas il passe la douane) : Nasser Allalalaïa, ou un truc comme ça, pas compris. Les mecs, pépères, jantes de 32, réhaussé, autoc Raide Boulle, phare de ouf, la totale quoi. Bon, on cause, il essaie de me fourguer un zedou à cent E (tout est plus cher dans désert) et je négocie avec lui ma remise sur le bon cap. Il m'dit "t'as qu'à suivre la caisse, et vas y fais des roues que j'te regarde dans le rétro, cousin !". Du coup, j'ai fini leur spéciale sans goudron en wheeling pour faire plaisir au cousin, et on est arrivé au bivouac. Tout le team m'attendait, les mecs genre vachement sérieux, "Julian, ça va ça va ?" J'ai dis "Ouais ouais, le châssis est homogène mais il faudrait redescendre la pression de 0.05 à l'arrière, même over-backed j'ai du mal à avoir de la motricité à l'attaque des dunes." La vie de tonton Robert, ils se sont jetés comme des chacals sur la brêle, z'ont tout démontés, nettoyés, tournés des vis -que même pas je savais que ça existait- dans tous les sens, j'ai dis "qu'un demi tour Boris, à un ça fait un gap trop important pour le fèche-fèche". M'a fait un clin d'oeil, l'a fait qu'un demi-tour à je sais pas quoi, trop cool. J'ai vu Van Beveren faire ça à son mécano juste avant, et franchement, les mecs ont l'air d'être trop fan. Moi, ça me casse les couilles leur truc de crasseux, j'ai la bouche toute sèche et des grains de sable plein le slip... En plus, j'ai même pas vu ou elle était leur spéciale...

Un conseil ? Arrêtez l'apéro avec les potes, ça débouche toujours sur des projets à la con...

Julian Tchouchouni.

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Note du rédacteur : Sinon, il y a un autre mec qui vient de finir la première étape de son premier Dakar à la 115ème place sur 135. Il s'appelle Julien Toniutti et vous pouvez le suivre ici : https://www.facebook.com/julien.toniutti69/

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