Momo au TT 2019

Le livre a molli

C’est chaque fois la même chose. Mais en différent. La route, le camion et ses mille bruits, la banquette arrière remplie d’adulte, et à l’avant, bibi qui conduit. Qui cherche la route. Qui fait aussi garderie. Ils sont patients, nos mômes. Gary, 2 ans tout frais, discute de tout et de rien en se repeignant la tête à coup de Mikado. Lucie, 4 ans et demi, s’occupe comme une grande, joue à chercher les vaches en Normandie, puis la mer, puis le bateau. Puis les moutons, puis l’autre mer, puis l’autre bateau... Et enfin l’ile de Man. Nous sommes sauvés.

C’est une drôle d’équipe qui a fait route cette année. Notre équipe. Une famille, des amis, des amis qui font une grande famille. Tibo, Tonton youyou, Stéph, Ludo, Céline, les enfants, le Chat Pautet et Fouidon-le-nez-sale. Une bande de manouches, des rêves plein la tête, d’histoire avec un petit h à construire, quelques doutes et quelques peurs aussi. Cette année, c’est retour au TT pour ma pomme, première fois pour le Chat. Cette année, on a vraiment essayé de faire les choses bien, même si nous n’en avions pas les moyens. Le Chat a construit une nouvelle machine pour maximiser les roulages, un supertwin sur base d’ER6 plutôt réussi. Moi, j’ai claqué mes économies dans une 1000, parce que j’en rêve depuis longtemps, et qu’il y a des choses à vivre maintenant. On mange sous un barnum bleu, prêté par Tecmas, on mécanique dans un autre, rouge et noir, estampillé Martimotos. On joue un peu à « J’irai dormir chez vous », quoi. Mais c’est le luxe, comme on a rarement connu.

Dimanche, première séance d’essai. Chaque fois la même chose. Mais en différent. Sans attaque particulière, sans colère, la 600 a descendu Bray Hill aux cotés de Matt Stevenson, le vainqueur du dernier Senior Manx GP. Un grand type sympa, fervent partisan de la coupe mulet. QuarterBridge, Braddan, entrée dans Union Mills et première chaleur. Botte posée par terre fond de 5, j’écarte d’un mètre de la traj’. Pas beau, pas propre, je ne comprends pas. Un peu plus loin, du côté de Rhencullen, je perds l’appui du repose-pied droit, genou par terre. Figure de style, j’évite l’invitation au thé qui m’attend dans la maison d’en face à coup de genou. Ça doit être ça, le secret de Marquez, il doit s’imaginer des circuits bordés de trottoir, de maisons, d’arbres, et du coup, il rattrape tout. Mais quelque chose ne va pas. J’ai la partition. Toutes les notes dans ma tête, sur le bout des doigts. Et pour cause, je viens ici depuis 2014, je mange des vidéos toutes les semaines, mais ça ne suffit pas. Trois blanches, une noire, un accord en fa, tout est là. Mais je n’ai pas fais de musique depuis longtemps, le tempo n’est pas bon. Putain de piano…

Alors, à la lenteur des cours de rééducation, on reprend étape par étape, virage par virage, les rapports engagés, les vitesses de passages, les efforts à porter sur le guidon pour retrouver le tac tac du métronome. Quatre petits tours dimanche. Cours de musique annulé lundi. On revient mardi.

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Mardi. La séance d’essai aura bien lieu. Aujourd’hui, c’est la fête du village, mais je défouraille du ballon gonflé à l’hélium à coup de bazooka. On a sorti l’allemande… C’est la première fois. Je sens venir le gros truc, mais je ne m’attendais pas à ça… Comment expliquer la 1000 ici… Disons que ce qui n’était déjà pas très raisonnable devient complètement débile. Ouvrir en grand avec 200 chevaux, c’est rigolo. Remonter à Magny-Cours vers Adélaïde à 280, c’est marrant. Prendre 240 en tirant la 4 pour aller au boulot, c’est pas bien, mais c’est fun. Débouler sur Ballagarey à je ne sais même pas combien parce que le monde te rentre dans les yeux à coup de centaines de kilomètre heure, c’est… Ben je ne sais même pas, en fait. C’est poser un CV pour être la doublure de Rocco, manger sa soupe avec une fourchette, regarder Chabal droit dans les yeux et lui faire un chat-bite. Bref, un truc très con, qui te fait bien rire au moment où t’en as l’idée, mais où tu sens quand même qu’il y a un moment où t’as dû te tromper… Le reste du circuit ? ça bouge, ça saute, ça remue. Rembobine. Recommence. Il n y a bien que la montagne qui offre un peu de calme. Large, lisse, la BM y est à son aise. Deux tours de fait. On ressaute sur le 600. Et d’un coup, tout devient plus simple. En fait, la 600, c’est un putain de vélo avec un moteur de barbapapa. On reprend la 1000. Et ça va beaucoup mieux. Bon pas beaucoup beaucoup mieux, mais mieux quand même. Disons que l’intervalle bucolique avec mini-missile permet de savourer les coups de semonce de la grosse Bertha. Ça me fait penser à une planche du Joe Bar, tiens… Quand Legnôme traverse la vitrine de Joe avec son VMax et braille « Quand je vais savoir me servir de ce truc là les mecs, z’allez pas voir le jour ! ». Ben c’est ça. Sauf que j’ai pas trouvé de vitrine, et que Murphy et ses théories de merde sont présents aussi ici, et que ce n’est pas cette année que les choses vont bien se passer. Bon quand même, y a eu Sulby. Si, Sulby, cette ligne droite dans le tunnel d’arbre ! C’était marrant. J’ai essayé de regarder le compteur. Pas facile. Un œil au loin, vibrant au rythme des bosses, l’autre aux aguets. 270. 280. 295, 296, 298, 299. 299. 299. Salope, t’aurais pu afficher 300 quand même ! Et j’ai bien vu que le compte-tours continuait de monter ! Ah, ces allemands, sont modestes quand même…

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Mais le livre a molli. Il est là, sur le coin de la table. J’en emmène toujours un, un qui ne parle pas de moto, un qui m’envoie loin ailleurs quand j’ai envie de partir de l’île mais que le bateau n’est que dans 10 jours. Il est sur le coin de la table, et la couverture s’ouvre toute seule. Les deux extrémités se redressent à mesure que l’humidité gagne le carton de la couverture. Nous sommes vendredi. Il pleut encore. Et encore. Pas de tour. Pas de musique, pas de fête foraine. Pas encore de chaleur sous la tente puisque je suis le premier levé. Une envie d’écrire, pour passer le temps, s’occuper, contenir un peu la colère. La colère d’être ici, d’avoir bossé pour être là, et de voir tout compromis par la météo. Je n’ai pas pu beaucoup rouler cette année, et pour être au départ des courses, je n’ai pas le choix, je dois empiler des tours, retrouver mon île, retrouver ma façon de faire. Alors je ronge mon frein en attendant le soleil, on joue le soir au loup avec les enfants, on boit du cidre pour que ça fasse un peu plus Normandie, et on attend. J’attends le soleil comme le cancre attend son mercredi.

 

Non course

Mercredi est arrivé. Presque trop tard. Je n’ai pu ni écrire, ni donner de nouvelles pendant des jours, car il n y avait rien à dire. Simplement rien. L’attente, sous la pluie, et les espoirs qui fondent au fur et à mesure. Les essais ont été annulés les uns après les autres. Mauvaise nouvelle pour moi qui avait misé sur un maximum de roulage ici, à défaut d’avoir pu le faire avant. Par contrainte plus que par conviction, j’avais fait 4 journées de roulages quasi exclusivement sur la 1000  pour me préparer au TT, découvrir la machine, et une quarantaine de minutes sur la 600. Le temps étant généralement bon sur l’ile de Man au mois de mai, je devais être normalement au point à la fin de la semaine d’essais, mais la météo et le vent en ont décidé autrement. Avec un peu de recul, ce n’était pas une erreur de stratégie. Juste un manque de moyen. Mais pas grave, on a appris à se débrouiller avec ce qu’on avait. Et puis ce n’est pas si mal à la fin des essais, un chrono de 19’14 en 1000, et 19’39 en 600, dans la zone de ce que je sais faire, et avec un vent de fou rendant la 1000 encore plus dure, et la 600 encore moins rapide.

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Et puis la première course est arrivée. Enfin, la première non course. Superbike, 4 tours. Depuis le début des essais, rouler sur la BM est une sacrée épreuve. La bête bouge, remue, jette. Fait peur. On m’avait prévenu qu’une 1000 était un sacré morceau ici, mais honnêtement, plus débile, y a pas. Enfin ça, c’est ce que je me disais juste avant de discuter avec Jean-Michel : « Morgan, tu es le seul à faire hurler les spectateurs de peur à Union Mills ». Ah. Pas bon ça. Y a un truc qui ne va pas. On réfléchit, et on décide d’une direction de réglages pour la course. De toute façon, le peu d’essais ne nous a pas permis de tester grand-chose. La course superbike part, et je comprends très vite que je suis dans la merde. La moto est pire, guidonne sans arrêt, me jette partout. Impossible de rester gaz en grand dans la rapide section de Bishop’s court, impossible sortir de Sarah’s Cottage sans que la moto ne cherche à m’éjecter à chaque changement d’angle… L’avantage, c’est que la direction à prendre n’est pas celle là, ça donne une indication ! En attendant, à bord, c’est l’enfer. Après un énième sauvetage sur la bosse avant Miltown, je songe à arrêter. Mais de la même façon, je n’ai pas été appris comme ça. Démerde-toi, gros, tu attends d’être là depuis des mois. Démerde-toi... Premier tour catastrophique, le 2ème ne s’annonce pas beaucoup mieux. A la colère des jours sans, je continue de pousser, de plus en plus méfiant.

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Et puis dans la montagne, tout s’arrête. Drapeau rouge. On gare les motos à Windy Corner, qui porte bien son nom. Un trou dans la montagne où s’engouffre le vent. Je choppe le portable d’un spectateur, laisse un message à ma femme pour la rassurer, avant de me faire inviter par les marshalls à l’intérieur de la guérite qui leur tient lieu de refuge. A l’intérieur, l’ambiance est mesurée. La chaleur et la bienveillance de nos hôtes faite de retenue. Ils savent. On sait. Quelque part sur le circuit, quelqu’un souffre, au pire du mieux. Le cul sur un banc, entouré d’Adrian Harisson et de Mark Goodings, on attend les nouvelles. Snugborough, début du troisième tour. Snugborough, c’est une cassure à gauche, « 5th screaming » (la 5ème hurlante). Adrian lâche un « Shit, fast place ». Ils sont au thé, moi au café. Un de ces cafés pourris, un Nes mal dosé remplit de trop d’eau trop chaude. Un café qui ne te marquera pas par ses arômes, mais par le plaisir de ce moment de chaleur, isolé du vent froid de la montagne.

Retour en convoi jusqu’à Grandstand. Le ciel est gris, l’ambiance de la même teinte. Je croise au paddock un Dominic Hebertson au regard hagard. Il a dû arriver juste après. Juste après que Daley Mathison ne se soit envolé avec les fées, comme sa femme a souhaité nous l’annoncer quelques heures après l’accident.

Mais le TT ne s’arrête jamais, même dans ces cas-là. Le soir même, après la course side-car, vient le tour des Supersports. Quatre tours, enfin une course dans son intégralité, le premier TT du chat Pautet, le premier gros morceau pour nos mécanos puisqu’il va falloir assurer deux ravitaillements. Mais encore une fois, la météo en a décidé autrement. Au deuxième tour, la pluie est arrivée du côté de Ballaugh Bridge. Quelques kilomètres à plus de 200 sur une route devenue glissante et piégeuse, puis retour au sec du côté de Ramsey. Je soude, face au vent, n’arrive pas à passer la 6ème tant ça souffle dans la montagne. De toute façon, je n’avais plus réussi à la passer ici après la 1ère séance d’essai… Cette année, si tu n’as pas un moteur de malade dans la 600, impossible de faire quelque chose, mais bon, je ne suis pas venu pour enfiler des perles, donc je cache tout ce qui dépasse derrière le carénage, et soude. Et le témoin de réserve s’allume… 10 kilomètres plus tôt que prévu… Là, c’est la merde. Avec le vent dans la tronche, à faire pédaler le moteur pour éviter de reculer, j’ai surconsommé, et je dois rendre la main pour rejoindre l’arrivée. La montagne au ralenti, enrouler pour ne pas consommer. Allez, encore quelques kilomètres et je pourrai ravitailler… Mais la direction de course en a décidé autrement. Alors que je saute sur les freins pour entrer au stand, on me fait signe que non, qu’il faut passer sous le drapeau à damier, que la course est terminée. La pluie ne permet plus de rouler… Fin de cette première journée de course. Une vraie journée de merde.

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On s’est regardé un moment avec le Chat Pautet, nos combinaisons sur le dos, sans avoir le courage de les enlever. Les questions sont venues les unes à la suite des autres, mais la réponse est restée la même : c’est vraiment un TT de merde. Depuis le temps qu’on attend, avec tout ce qu’on a mis dedans, d’énergie, de temps, de fric. Et s’il n y avait que nous ! Ludo, boss et unique employé de La Parenthèse Moto… Sur les quatre machines qui illuminent notre stand, trois ont des moteurs qui sortent des chez lui ! Des heures, des nuits passées à mesurer des coussinets de bielle, faire des jeux aux soupapes, serrer des culasses… A choisir de bosser pour que nous puissions rouler plutôt que de se caler au fond de son lit, au chaud. Stéphane, qui a été de toutes les éditions, l’agrandisseur de réservoir, l’ajusteur de conduit, le metteur au point, qui claque chaque année plus de deux semaines de congés par passion, par amour de la compétition, par amitié. Mon frère, un jumeau moins gros qui devient moi quand je ne peux pas, Thibaut, l’ami de toujours, le rationnel, celui qui voit la vie sans détours, et un des seuls qui sache me ramener sur terre quand je m’égare. Fouidon, le fils caché de Crocodile Dundee et Zac Efron, mécano, voyageur, et Gremlins… Oui, parce que ce soir là, alors que le TT basculait dans le maussade, le rêve qui se termine avant même d’avoir commencé, l’esprit sous la tente a commencé à s’échauffer. Ludo à mouillé Fouidon… et, c’est bien connu, il ne faut jamais mouiller un Gremlins ! Les bouteilles de coca, de limonade se sont transformées en geyser islandais, le paddock en un terrain de chat perché, et on a ri, on a ri. C’était environ moins le quart, l’heure parfaite pour ça. L’heure parfaite qui n’existe pas mais qui sonnait le retour à notre réalité : oui, nous étions là pour le plaisir, rouler vite bien sûr, mais aussi nous marrer. Les pendules étant remises à l’heure, il n y avait plus qu’à remettre le reste en ordre de marche.

Commentaires

  • Patrick Alzingre

    1 Patrick Alzingre Le 31/05/2019

    Superbe texte Morgan ,j'en ai la larme à l'oeil ,félicitations
  • Roland PEYROCHE

    2 Roland PEYROCHE Le 31/05/2019

    Superbe texte. Écrivain en plus de pilote. On s'identifie du fond de notre guitoune sur laquelle la pluie ne cesse de claquer. Soyons optimistes. @ bientôt.
  • LE MOIGNIC SEBASTIEN

    3 LE MOIGNIC SEBASTIEN Le 06/06/2019

    Superbe écriture. Spectateur du TT à maintes reprises j'ai fait mainte fois le tour du circuit en "touriste" (notamment un guidé avec le MIG en 2007) et ce que tu décris transpire vraiment ce qu'est ce circuit, ce festival de dingue.
    Bravo à toi, profite bien.
    Seb
  • Mingam jack

    4 Mingam jack Le 12/06/2019

    Putain ce que tu écris bien....c'est criant de vérité ....quand on te lit ,c'est comme si on était a côté de toi , on vit le truc !!!!!
  • robert morlon

    5 robert morlon Le 12/06/2019

    Super Morgan ,comme d'habitude un plaisir de te lire avec les sensations comme si on y était !!!
  • Christian

    6 Christian Le 15/06/2019

    On y est , on le vit avec toi , merci pour ce beau travail .
    Moi 68 ans , mon premier TT . J'en rêvais depuis 1969 . Mais la météo de m. , Puis des problèmes de moto m'ont gâché le plaisir .
    À part ça , un pays superbe , des gens sympas , et des pilotes complètement ....
    Et enfin , fier de dire à mes potes , mes petits enfants : 2019 , j'y étais !
  • Polo

    7 Polo Le 15/06/2019

    Bravo pour cette écriture très réaliste. Quand tu veux pour te lire..

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