Momo - Saison 2018

Saison 2018 : Momo, jette voir un coup d’œil dans le rétro

Habibi

Si je voue à l’automne une admiration particulière, l’hiver sombre est souvent ma vraie source d’envie et de désir. L’année dernière, c’est un livre, la biographie d’Hubert Auriol, qui a accompagné les températures négatives et mes vagues à l’âme d’intersaison. L’Afrique, la chaleur du Maghreb, les couleurs de la Mauritanie, et les pistes infinies couchées sur papier glacé, comme une invitation au bonheur. Du coup, quand Michel Bonneau et Aurélien Szulek m’ont appelé pour rejoindre le Moto Tour Tunisien, l’idée de refuser ne m’a même pas traversé l’esprit. Une Yamaha XSR 900, terriblement préparée par SW Motech, et une envie pressante d’aventure m’ont amené sur la ligne de départ de cette toute première épreuve de la saison. Mais cette course, je ne l’ai pas vraiment faite.

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C’était plutôt un voyage à très haute vitesse. Sans apprendre aucune des spéciales, je suis simplement parti sur les routes Tunisiennes avec l’envie de savourer chaque instant, chaque seconde de désert, chaque seconde liberté, chaque sourire. Faire la course aurait été une erreur. Pour mon petit cerveau mono tâche, ç’aurait été se priver du temps nécessaire pour écouter le silence d’un Chott, les cris de joie des mômes à notre passage dans tous les villages, ou ne pas prendre la peine de regarder des bergers d’à peine 10 ans surveiller leurs minuscules troupeaux dans d’incroyables vallées vertes. Ce premier pied en Afrique, même pour en découvrir une infime partie, restera une claque. On ne peut pas imaginer ou comprendre, même en restant toute la journée le nez collé à des reportages géographiques, qu’il soit possible de vivre comme ça. Dans la simplicité du temps, avec une terre aride pour seule nourrice. Loin des villes vendeuses d’abondance à crédit, la campagne Tunisienne maintien l’homme en équilibre et à sa juste place : poussière sur cette terre.

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Galère Celtique

Après ce véritable cadeau (des uns et des autres) dont je resterais éternellement reconnaissant, mon planning me poussait à traverser d’autres mers. Mais je ne savais pas encore qu'il faudrait les traverser en galère… La Spring Cup, en Angleterre, est une de mes courses favorites. Un décor incroyable, une petite route sinueuse et des copains bien chauds mais respectueux sont autant d’ingrédients qui donne à cette petite course sur route un parfum unique, british, et bordelique. Annulée quelques jours avant, c’est sur le circuit débile de Cadwell Park que nous finissons par jeter notre dévolu. Nous, parce que le Chat Pautet nous a rejoint, et qu’une équipe d’Auvergnats pas bien finis aussi, Jean et Mathieu pour ne pas les citer. Cadwell était sur ma liste des circuits à faire un jour, avec son fameux jump. Un Lédenon à l’Anglaise...

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Si nous ne nous en sommes pas trop mal tirés, malgré une percussion, très peu d’essais, des pannes et beaucoup de doutes, c’est pourtant l’Ecosse, sur notre route vers l’Irlande du Nord, qui nous en mettra un sérieux coup. Caravane cassée, pilotes, mécaniciens, femme et enfants sur le bord de la route, la galère est quai, bienvenue à bord !

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Hébergé (ou sauvé, c’est au choix) par John et sa famille, que nous ne connaissions pas, du côté d’Armagh, le voyage se poursuit pourtant avec la sensation d’avoir touché le fond. Du coup, quand le barnum s’est effondré sur nos motos dans le paddock de la Cookstown, on s’est mis à creuser… La Cookstown, encore un truc intelligent, tiens… Faire une course sur route irlandaise figurait aussi sur ma liste au père noël, et honnêtement la Cookstown 100 était une sacrée expérience. Tout à fait à notre place dans un paddock d’amateurs passionnés, accompagnés de l’ISAT et de cette fameuse BMW (emmenée jusqu’ici grâce à la générosité des amis), les larmes à l’arrivée de la course 1000 Classic (alimentées aussi par une 2ème place inespérée) ont été une délivrance. La fin d’un voyage intense où l’inquiétude à trop souvent pris le pas sur le plaisir. Mais le temps faisant son affaire, des pires emmerdes naissent les meilleurs souvenirs...

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Intermède et toile de fond

Je raconte ce que j’ai pu entrevoir du monde, les copains, les galères, l’entraide. Ce n’est pourtant que la peinture sur le tableau. Le cadre et la toile sont pourtant essentiels à l’œuvre (même moche), et les fabriquer est un sacré bordel. Je viens d’une famille de la classe moyenne, pas assez riche pour avoir, mais suffisamment pour y croire, et mon éducation pourrait se résumer en une phrase : travailler pour faire quelque chose qu’on aime. Le luxe suprême. Depuis des années, je consacre chaque minute à cet objectif, qui pourrait sonner comme une réussite. Si je peux peindre quelques jours par an, le reste est consacré au travail, à la tension de la toile, au mélange des couleurs. A la merde, en fait. Le plaisir de se battre, aidé d'une poignée de potes, pour ne plus rêver sa vie mais vivre ses rêves, bien sûr, mais la difficulté pour un type ordinaire de faire des choses qui ne le sont pas. Si j’étais le seul juge de ma peinture, mon monde serait presque parfait. Mais, parce que je regarde parfois plus loin que le prochain virage et parce que je les aime, ma femme, mes enfants, sont aussi du vernissage, et leur regard est plus qu’important. Si on peut imaginer ce que peut être l’apprivoisement d’un tracé comme l’ile de Man, si on peut ressentir l’adrénaline de la vitesse, il est en revanche très compliqué de mettre des mots sur la solitude qui vous habite quand votre plan tombe à l’eau, que vous ne savez pas où faire dormir vos mômes le soir, ou que vous passez une partie de la nuit les outils à la main sans savoir si vous serez prêt le lendemain. En soit, chaque problème a sa solution, mais les doutes, la fatigue, les attentes des uns et des autres vous jettent parfois dans des déserts dont il faut sortir. Des déserts que vous avez choisi de traverser en tirant une charrette pleine de ceux que vous avez choisi d'emmener. Jusque-là, ma grande chance a été d’être entouré et d’avoir rencontré des gens merveilleux, fraternels, et je ne les remercierais jamais assez. Je ne sais pas si chaque emmerde rend plus savoureuse chaque victoire (être au départ en est une), mais je sais qu’il est de plus en plus dur de superposer les casquettes... Mais que tant que je pourrais, je le ferais.

Tempête

C’est dans l’été que le vent a tourné. Ou plutôt tourbillonné. Le 7 Juillet, alors que j’accompagnais en side-car le mariage de mon pote, William Dunlop s’en est allé. Si je voue une admiration surdimensionnée à son frère Michael, la famille Dunlop au complet siège au pinacle de mon petit monde. De notre petit monde, si j’englobe ma famille. Quand ma petite Lucie demande à voir Mickey, Mickey n’est pas une souris américaine… Quand sa maman Céline m’annonce très fière qu’elle a fait la lessive avec William, ce n’est pas d’une marque à la con dont elle me parle... Dans cette nuit du 7 Juillet, j’ai commencé à voir des étoiles s’éteindre dans ses yeux. Ces gens, ces noms, qui n’étaient que des mots dans des magazines ou à la télé, existaient en fait, et nous les avions côtoyés. Et même les invincibles pouvaient s’en aller.

Plus tard ce même mois, du côté de Chimay, la course sur route avait repris ses droits. En mode entrainement avec la 600 Kawa, le podium de l’Endurance nous tendait en revanche les bras. Après avoir claqué le 2ème temps des essais en compagnie de Bernard Fau sur une magnifique OW01 et une remontée tout en souplesse (si si !) en course, la perte d’une garniture de plaquette de frein nous empêchera de prendre complètement notre revanche sur l’année précédente, où nous n’avions fait que 5 tours (prometteurs) d’essais. Mais une fois encore, l’aventure était belle et ne nécessitait pas une timbale pour valoir le coup d’être vécue.

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Enfin le damier...

Et puis… Et puis l’ile de Man. Le Manx Grand Prix. Sans en avoir parlé à personne, voilà deux ans que j’attends cette course. L’année dernière, pas de TT, mon petit 2ème arrivant en février, il aurait été aventurier de lui faire traverser les mers dès le mois de mai. Il aura donc attendu d’avoir ses 6 mois et le mois d’Aout pour rejoindre Douglas et le Classic Tourist Trophy. Ce Classic TT, c’était pour pouvoir continuer à apprendre, ne pas perdre la dynamique, mais ce que j’attendais vraiment, c’était de pouvoir retourner en 600, sur une machine moderne. Pourquoi ? Parce que j’ai fait le choix, il y a deux ans, de tirer un trait sur une opportunité sportive incompatible avec mes envies, ma famille, et donc ce que j’attendais de la vie. Je ne suis pas un guerrier. Je n'ai pas envie de battre les autres, et de faire n'importe quoi par fierté, ou pour gagner. Ma place est derrière ceux qui sont plus rapides, devant ceux qui le sont moins, et auprès de ma famille, point. J'aime la vitesse, les défis, et en ça je n’ai jamais regretté ce choix, mais je n’ai jamais pu m'enlever le doute d’être passé à côté de quelque chose. Certainement de la facilité, du repos, mais à un prix que je ne souhaitais pas payer. Préparé avec les moyens du bord, simples mais sciemment déterminés, je chargeais mon camion pour l’île quand Mig m'a joué son seul unique sale coup. Putain… Les étoiles ont disparu définitivement de nos yeux pour embuer cette réalité inacceptable. A partir de là, à quelques jours d’avoir l’aboutissement de deux ans de doutes et de travail, il ne restait que deux choix : s’effondrer, ou pas. Mais comment faire ce 'ou pas', quand plus personne n’a la tête à ça ? Sans trop y penser, nous avons pris ce que Mig nous avait laissé en héritage : Les leçons jamais prononcées d’un mec passionné, qui a vaincu un sacré paquet de vents et de marées pour vivre comme il l’entendait la vie qu’il avait choisi. Mig, c’était un pote, mon papa des courses sur route, un artiste dans son genre qui peignait avec ses doigts et ceux de ses potes des horizons incroyables où je rêvais de m’enfoncer.

Une nouvelle (antique) caravane trouvée chez un mec d’enfer, la famille presque au sec dans un camion presque étanche, Jessy, Ludo, Clément, le Chat Pautet, Manon, Stéph et ses femmes pour compagnon de voyage, et vogue la galère. Humide, la galère… La quasi-totalité des essais annulés, l’attente, ses mots qu’on voudrait dire mais qui ne sorte pas. On a ruminé notre merde pendant 10 jours, sans pouvoir s’en débarrasser. Il n y a que le dimanche soir que nous avons commencé à nous retrouver. Autour d’une place sur la promenade, rebaptisée « Fabrice Miguet », entourés des spectateurs français, ces mots qui ne sortaient pas ont enfin trouvé leur place, pour nous libérer.

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Le lendemain, la course Classic Superbike m’a permis de me rassurer, avant de retrouver ma Supersport pour les courses de Junior et Senior. Pendant cette dernière course, je n’ai pas pu estimer combien j’avais poussé. J’ai bien vu dans les yeux de mon frère à l’arrivée que ça l’avait fait, mais je ne savais pas combien. 18 minutes 52 secondes, la barre des 19’ au tour tapée pour la seconde fois seulement par un français en 600, après Timothée Monot cette même année. Voilà le combien. Il y a deux ans, j’ai donc eu raison. Délivrance. Mais qui ne sert strictement à rien. Bien sûr, ça m’a conforté, rendu heureux. Mais les choses ont été trop dures cette année pour réussir à refaire scintiller tous les yeux que je voulais voir briller. Ça remet les choses en perspective, même si j’ai du mal à en percevoir, toujours aujourd’hui, la ligne de fuite. Peut-être que justement, je me suis trompé. Peut-être que la colère m'a fait oublier le plaisir, pour ne plus penser qu'à l'objectif. Je ne recommencerais plus, promis...

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De fuite, j’en ai pris une dans les bois. La Royale, organisée par Cocoricorando (bientôt dans Moto Revue), l’occasion de (re)découvrir le trail, les bois, le plaisir de rouler juste pour rouler. Il y a dans ces chemins tout un univers, une liberté dont je n’avais jamais présumé. Une autre voie pour l’avenir ? Je ne sais pas… Enfin si, je sais, mais je ne suis encore pas assez bon pour ça !

La preuve d’ailleurs avec la dernière étape du calendrier 2018. Par soucis de préserver cette course qui n’en est pas une, je n’en donnerais même pas le nom. Une Nimperie. Et il fallait au moins inventer ce mot pour réussir à définir cet espèce de génial bordel réunissant des moustachus déguisés sur de vieilles 125 (DTMX et XLS principalement) pour une journée d’enduro et d’épreuves débilo-grotesques parfaitement assumées (moto amphibie, course sur prairie en pneus de route, …).

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Pour cette gigantesque manoucherie carnavalesque, les étudiants de l’IUT de Bourges que j’amenais (ça c’est de la sortie scolaire !) ont amoureusement préparés une vieille Yam dont ils se sont partagés le guidon, finissant l’épreuve à la lampe de poche et à la frontale, dans d’obscurs bourbiers ardéchois… Pour avoir pris deux relais quatre fois plus de pelles et m'être fait doubler par un nounours, je peux maintenant garantir que le ridicule ne tue pas, mais que le groupe, le partage et la démerde sont des valeurs sûres, même quand la moto ne démarre qu’un quart d’heure après le départ… Ou que tes potes vont nourrir les vaches pour remplacer l’agriculteur qui te sort du champ le lendemain de la course…

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Alors quoi, après ce coup d’œil dans le rétroviseur… Pas de leçon, juste de la passion. Et l’envie de reconnaitre sa chance. En ce premier jour d’hiver, une montagne de travail sur le bureau et l’établi, je pourrais succomber à la grisaille du ciel. Ce serait tout à fait inconvenant. J’ai eu cette année une chance incroyable, celle de vivre pleinement ma passion, sous différentes formes. De la Tunisie à l’Ulster, de Douglas aux bois de Touraine, cette année aura tout simplement été d’une intensité exceptionnelle. Des sommets et des gouffres d’émotion, des verts éclatants, des noirs infinis. J’aime la vitesse, j’aime ces courses, j’aime l’intensité de cette vie, même si chaque chaos me donne des cheveux gris…

Je ne sais pas ce que je peux donner, ce que je peux vous apporter… Je n’ai pas de conclusion philosophique, brillante ou humaniste à écrire. Aujourd’hui, j’ai simplement envie de vous dire, à toutes et à tous, merci. Merci de soutenir ces projets, ces idées folles, juste parce qu’une même passion nous anime. Chaque année, vous m’aidez à construire ce fameux tableau pour que je gribouille quelque chose dessus, sans savoir si le dessin va vous plaire… Je n’ai pas encore exactement les contours du prochain, mais je sais ce que je veux y mettre…

Des étoiles.

Des étoiles plein la tête.

Merci à tous…

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Morgan

 

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